
Publié le
Par Sylvain Melchior, Guilhem Barroyer
Boldo | Design d’Entreprise
Le mot design est l’un des plus déformés du vocabulaire contemporain. Réduit à une question d’esthétique ou de surface, il évoque souvent la beauté d’un objet ou l’ergonomie d’une interface.
Et pourtant, sa portée est bien plus large. Le design, dans son essence, est une culture de conception : une manière d’observer, de comprendre et de transformer des systèmes complexes. Une discipline qui cherche à relier les mondes (techniques, humains, organisationnels) pour donner du sens et de la cohérence à l’ensemble.
C’est dans cette perspective qu’intervient EDGY, le langage visuel open-source développé par Intersection Group. EDGY invite à penser l’entreprise elle-même comme un objet de design : un organisme vivant où stratégie, expérience et architecture ne sont plus des silos, mais des dimensions d’un même tout.
Autrement dit, il ne s’agit plus seulement de concevoir des produits ou des services, mais de concevoir l’organisation: son identité, ses interactions et ses structures.
“To become whole, enterprises must embrace a holistic, collaborative way of design: transcending silos, combining perspectives, looking for connections instead of divisions." - Bard Papegaaij, Wolfgang Goebl & Milan Guenther
Du design au sens large
Selon la CY École de Design, "Le design est une culture et une méthode stratégique de résolution de problèmes qui favorise l’innovation, la création de valeurs et de liens, en permettant une meilleure qualité de vie pour tous et chacun, en produisant des produits, systèmes, signes, espaces, interfaces, services et expériences innovants."
Cette définition rappelle une chose essentielle : le design n’est pas un art décoratif. Il ne cherche pas à “faire beau”, mais à faire sens.
C’est une discipline de résolution de problèmes complexes, à la croisée de la technique, des sciences humaines et de la créativité. Le designer, au sens large, agit comme un chef d’orchestre de la complexité : il combine la compréhension des usages, la faisabilité technique et l’impact humain pour créer des solutions cohérentes et durables. Il s’appuie sur la pluridisciplinarité (sciences, ingénierie, sociologie, écologie) pour relier imagination et responsabilité.
Loin d’une logique d’apparence, le design est donc une méthodologie d’innovation systémique. Il ne s’agit plus seulement de concevoir un objet ou une interface, mais de penser les interactions entre les acteurs, les outils et les structures.
EDGY, le langage qui pense l’entreprise comme un objet de design
Penser l’entreprise comme un objet de design, c’est changer d’échelle. On ne parle plus de produits, ni même de services, mais de l’organisation dans son ensemble : ce en quoi elle croit, ce qu’elle fait vivre et ce qui la rend possible. Autrement dit : l’entreprise se conçoit, au même titre qu’un produit ou qu’une expérience.
Et comme tout système complexe, elle se compose de plusieurs plans étroitement liés.

EDGY, a Design Language
Identité
“The values and beliefs enterprises exhibit through their messages and actions.”
L’identité, c’est ce qui donne une âme à l’entreprise : sa raison d’être, ses valeurs, son histoire, sa culture, et la manière dont elle agit dans le monde. Elle ne se résume pas à un discours de marque, mais à une cohérence vécue : entre ce qu’elle dit, ce qu’elle fait et ce qu’elle incarne.
Quand l’identité est claire, elle inspire les comportements, oriente la culture et guide les décisions. Quand elle se fragmente, c’est toute l’organisation qui perd son cap : messages contradictoires, silos, désalignement. Concevoir l’identité, c’est donner à l’organisation une intention partagée.
EDGY la décline à travers des éléments comme la marque (brand), le récit (story), le contenu (content) et la finalité (purpose), autant de briques qui permettent de raconter ce que l’entreprise croit et pourquoi elle agit.
Expérience
“The impact through interactions the enterprise has on people and their lives.”
L’expérience, c’est l’impact réel qu’une entreprise a sur les gens et leurs vies, à travers tout ce qu’ils perçoivent : ses produits, ses services, ses lieux, ses employés, ses interfaces, ses messages.
C’est par ces interactions concrètes que les individus évaluent la promesse de l’organisation : ils ne jugent pas ses organigrammes, mais la manière dont elle leur simplifie la vie, les émeut ou les déçoit.
EDGY détaille cette facette à travers des notions clés comme les tâches (tasks) que les gens cherchent à accomplir, leurs parcours (journeys), les canaux (channels) qu’ils utilisent, et les produits (products) qui matérialisent la relation entre promesse et réalité.
Ces éléments permettent de concevoir l’expérience comme un système, et non comme une série de points de contact isolés. Une expérience fluide révèle une organisation cohérente. Une expérience fragmentée trahit un désalignement entre intention et exécution.
Architecture
“The structures needed to make an enterprise operate and connect to the ecosystem.”
Sous chaque expérience et chaque identité se trouve une architecture : l’ensemble des structures (humaines, techniques et organisationnelles) qui font tourner l’entreprise. C’est elle qui relie les personnes (organisations), les capacités (capabilities), les processus (processes) et les actifs (assets) nécessaires pour délivrer les produits et services.
Mais une entreprise n’est pas un moteur qu’on peut démonter et remonter à volonté. Une partie de son architecture est déterministe (ce que l’on peut concevoir, modéliser, planifier), et une autre est émergente (ce qui résulte des comportements, des interactions et de la culture). L’art de l’architecture consiste donc à designer ce qui peut l’être, tout en accompagnant ce qui émerge.
C’est une discipline du lien : elle connecte les ambitions (identité) aux réalités opérationnelles (expérience), et transforme une vision en structures capables de la réaliser.
Vers une nouvelle posture de l’architecte d’entreprise?
En replaçant l’entreprise dans un cadre de design, EDGY ouvre une perspective stimulante sur le rôle de l’architecte d’entreprise. Il ne s’agit pas d’un nouveau dogme, mais d’une invitation à élargir le regard, à relier des disciplines qui, souvent, s’ignorent encore.
Quand l'IT rencontre le Design
L’architecture d’entreprise trouve ses racines dans le monde informatique. Née dans les années 1980 avec les travaux de John Zachman chez IBM, elle visait à structurer et documenter les systèmes d’information pour en assurer la cohérence. Des cadres comme TOGAF, qui s’est imposé ensuite comme référence, ont prolongé cette logique : décrire, standardiser et aligner les architectures techniques avec les besoins métiers.
👉 Pour une lecture plus approfondie sur les différences entre ces deux approches fondatrices, voir notre article TOGAF vs Zachman : deux visions de l’architecture
Une approche fondatrice, mais longtemps perçue comme technique et descendante, centrée sur la conformité et la gouvernance des systèmes. Or, à mesure que la technologie s’est diffusée dans toutes les dimensions de l’entreprise, le rôle de l’architecte a profondément évolué, du système d’information au système tout court. Il est devenu un médiateur, un passeur entre les mondes : entre l’intention et l’exécution, entre les dirigeants et les équipes, entre les processus et les usages. Sous cet angle, sa pratique rejoint naturellement celle du design. Car concevoir une organisation, un service ou un système, c’est avant tout un acte de design collectif, un travail d’équilibre entre clarté, sens et cohérence.
La cartographie comme langage partagé
C’est sans doute là que la démarche d’EDGY trouve un écho particulier. Elle invite à voir l’architecture non plus comme un livrable, mais comme un langage commun: un moyen de faire dialoguer les disciplines, de visualiser les interdépendances, et de construire une compréhension partagée.
L’architecte devient alors un facilitateur de sens, au service d’une conception collaborative de l’entreprise. La carte n’est plus la fin, mais le support de conversation qui relie les acteurs autour d’une même vision.
De la gouvernance à la narration
Adopter une approche design, c’est aussi reconnaître que l’architecture raconte quelque chose : l’histoire d’une organisation qui cherche à se comprendre pour mieux agir. Une architecture claire n’impose pas, elle éclaire. Elle traduit une intention collective, une volonté de rendre visible ce qui relie les métiers, les technologies et les personnes. Elle devient un outil de narration stratégique, au croisement du sens et de la structure.
Conclusion
Ce que propose EDGY, ce n’est pas une méthode de plus, c’est une nouvelle manière de regarder l’entreprise, non plus comme un empilement de systèmes, mais comme un organisme vivant, traversé d’interactions, de structures et d’intentions.
Une vision qui résonne avec notre approche chez Boldo : faire de la cartographie et de la modélisation un outil de storytelling. Raconter comment l’organisation fonctionne, où elle se transforme, et comment chaque dépendance, chaque flux, chaque décision s’inscrit dans une histoire commune.
Car une architecture claire ne se limite pas à documenter : elle crée du sens, aligne les points de vue et favorise l’action collective. C’est en rendant cette complexité lisible et partageable que la transformation devient comprise, partagée, et donc, durable.

Un Pont entre les Objectifs Métiers et les Capacités Technologiques dans un Monde en Évolution
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