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Par Sylvain Melchior
Système d’information, trajectoire d’entreprise et intelligence collective : comment activer une architecture vivante
La connaissance du Système d’information et de l'entreprise ne peut plus être l'affaire exclusive de la DSI. Pour créer plus de valeur, elle doit circuler, s’actualiser et s’enrichir au contact des métiers.
Comment démocratiser l’accès à cette connaissance et permettre à chacun d’y contribuer ?
Dans cet article, nous croisons les regards de deux experts engagés sur le sujet : Arthur, architecte d’entreprise chez Projexion, et Sylvain Melchior, CEO de Boldo , éditeur d’un copilote d’architecture d’entreprise. Ensemble, ils partagent leur vision d’une connaissance vivante, contributive et activable par tous les acteurs de l’entreprise.
Aujourd’hui, que recouvre réellement la « connaissance du SI » au-delà des cartographies classiques ?
Sylvain : La connaissance du système d'information est loin d’être juste un inventaire technique. Elle recouvre plusieurs dimensions. Il y a d'abord la connaissance fine de chaque asset : applications, systèmes, composants d'infrastructure… mais ça ne suffit pas. Ce qui est essentiel, c’est de comprendre comment ces actifs fonctionnent ensemble : l’orchestration ! C’est ce qui fait la différence entre une liste d’éléments techniques et une représentation utile du Système d’Information.
La cartographie a évidemment son rôle, mais à condition qu’on soit clairs sur ce qu’on entend par là ! Un diagramme PowerPoint statique, ce n’est pas suffisant. La cartographie est la source unique de vérité des actifs de l’organisation et de leurs relations, qui est valorisée grâce à des projections visuelles (diagrammes, graphiques, tables…) pour prendre des décisions data-driven.
Arthur : Oui, et il faut également ouvrir au-delà d’une approche « livrables ». La vraie connaissance du SI, ce n’est pas ce qu’on imprime dans un document, c’est ce qu’on partage et qu’on mobilise pour piloter l’entreprise et les trajectoires de transformation. Elle relie les assets à leur finalité business et inversement ! L’objectif du Système d’Information est de soutenir la stratégie de l’entreprise, et de répondre aux enjeux des métiers.
De plus, beaucoup de personnes continuent à entendre "Système Informatique" quand on parle de SI ! Le système d’information, c’est bien plus large. Il inclut des processus métiers qui peuvent être partiellement ou pas du tout informatisés — mais qui structurent pourtant l’activité et font partie de cette connaissance.
« La connaissance du système d’information ne se limite pas à ce qui est inclus dans le système informatique ! »
Sylvain : Tout à fait. Il faut renverser le regard : partir du business, des capacités de l’entreprise, des acteurs impliqués, et descendre ensuite vers les couches applicatives, les processus, la data, l’infrastructure. La cartographie ne sert pas à empiler de la complexité : elle est là pour la rendre lisible, exploitable.
« Les approches de cartographie ont vocation à décomplexifier le fonctionnement du SI pour offrir une vision claire aux utilisateurs. »
Pourquoi la connaissance du SI et de la trajectoire de transformation d'entreprise doit-elle être partagée dans l'organisation ?
Arthur : Ce qui nous semble évident, en tant que cabinet qui accompagne les transformations, c’est que la trajectoire de transformation n’est pas l’affaire exclusive de la direction ou de la DSI. Tous les acteurs de l’entreprise y participent. Ceux qui vont mettre en œuvre les changements, accompagner les équipes, faire évoluer les outils, ce sont bien les collaborateurs. Et pour qu’ils le fassent efficacement, il faut leur transmettre ce patrimoine de connaissance : celui qui donne du sens à leur mission et leur permet de comprendre la finalité de ce qu’ils font.
Dans mes missions d’architecture, je croise beaucoup d’acteurs qui savent parfaitement ce qu’ils ont à faire, mais pas toujours pourquoi ils le font, ni comment cela s’insère dans un objectif plus large. Or, la quête de sens est aujourd’hui un facteur clé de réussite des transformations. Quand un responsable d’application comprend comment son travail s’articule avec celui d’un architecte infra, d’un métier ou d’un intégrateur, il peut prendre du recul, proposer des améliorations et être davantage impliqué et embarqué !
Sylvain : Tout à fait. Il y a d’abord un besoin humain fondamental : se sentir utile, aligné, et efficace. Comprendre pourquoi on mène une action améliore l’engagement… mais aussi la qualité de l’exécution.
Et puis, sur le plan très opérationnel, chaque transformation génère des impacts transverses. Ce que je modifie dans mon périmètre va impacter les autres. D’où l’intérêt de partager une vision élargie pour anticiper, éviter les frictions et les effets de bord.
Chez Boldo, on voit ça très concrètement dans les projets de transformation digitale. Ces projets sont menés pour les métiers… mais aussi par les métiers. Il faut donc qu’ils puissent accéder à une connaissance claire, pour vérifier que ce qui est conçu est cohérent avec leurs besoins. Le partage de connaissance fluidifie les boucles d’itération et d’alignement et réduit les malentendus. Il démystifie également la charge de travail liée au changement !
Le partage de la connaissance un levier important de conduite du changement et d’embarquement des équipes dans les projets de transformation de l’entreprise.
Arthur : J’insiste sur un point : partager ne veut pas dire diffuser uniquement. Il faut aussi donner à chacun la capacité de contribuer à la construction de cette connaissance. Chacun dans l’organisation détient une part de la vérité terrain. Cette approche distribuée, collaborative permet d’enrichir la vision globale avec des apports réels, situés. Et c’est vrai à tous les niveaux : ventes, marketing, production, DSI…
« La connaissance du SI ne doit pas seulement être partagée : elle doit être co-construite par ceux qui la vivent au quotidien. »
Sylvain : Et n’oublions pas également que la connaissance du SI ne se limite pas à l’interne ! Le SI, dans beaucoup d’entreprises, communique avec des partenaires, des fournisseurs, des clients. Il y a donc un intérêt, quand c’est pertinent, à ouvrir une partie de cette connaissance vers l’extérieur. Cela dépend bien sûr de la culture de l’organisation, mais aussi du secteur d’activité.
Il y a plusieurs cercles à prendre en compte : l’interne, l’écosystème, et le cadre réglementaire. Ce dernier, d’ailleurs, peut fortement orienter la manière dont on partage la connaissance. Dans le secteur bancaire par exemple, le règlement DORA impose une traçabilité et une transparence accrues. Là encore, structurer et partager la connaissance du SI devient une nécessité stratégique.
Quels sont les principaux facteurs à prendre en compte dans la diffusion de la connaissance et de la trajectoire de transformation ?
Arthur : La première variable, c’est la culture de l’entreprise. Il n’existe pas un modèle universel de diffusion de la connaissance. Certaines entreprises sont dans une logique d’ouverture radicale – tout le monde peut accéder à tout – d’autres fonctionnent sur un principe de cloisonnement. Ni l’un ni l’autre n’est bon ou mauvais en soi. Ce qui compte, c’est de partir de l’usage. Est-ce que ce partage est pertinent ? Est-ce qu’il apporte de la valeur ? Est-ce qu’il ne risque pas de noyer les utilisateurs dans une masse d’information inutile ? Est-ce qu’il est en adéquation avec la culture de l’organisation ?
Partager la connaissance du SI, ce n’est pas simplement appuyer sur “publier” : c’est un processus. Il faut aligner cette ouverture avec la culture d’entreprise, anticiper les risques – cybersécurité, confidentialité, surcharge cognitive… – et surtout accompagner le changement. Dans une organisation où ce type de démarche est nouveau, il faut s’attendre à des interrogations légitimes : Quel est mon rôle dans ce changement ? Qu’est-ce qu’on attend de moi ? Pourquoi ?
Sylvain : Oui, il y a un vrai enjeu humain. On ne parle pas d’un fichier Excel que l’on met à disposition. On parle d’un système de connaissance qui touche des personnes avec des points de vue, des métiers, des capacités d’action très différents. C’est là que la gouvernance entre en jeu. Elle doit permettre de fixer des règles… sans rigidifier, ni polluer le quotidien.
Et puis il y a la question des outils. C’est aussi pour cela que nous avons créé Boldo : pour offrir un pont entre une vision macro – qui aide à comprendre l’essentiel – et une vision micro, opérationnelle, qui permet d’agir. Le système d’information est complexe, il faut l’assumer, et il faut surtout le rendre lisible et compréhensible selon chaque prisme !
« Le rôle des outils, c’est de décomplexifier le SI et de proposer la bonne vue à la bonne personne, selon la valeur qu’elle en retire. »
Comment structurer une démarche qui rende cette connaissance à la fois accessible, compréhensible et activable pour les métiers ?
Sylvain : Il faut distinguer deux temps dans la démarche : l’initialisation, et la gestion du quotidien. Trop souvent, on se concentre uniquement sur la mise en œuvre… sans penser à la pérennisation.
Le point de départ, c’est souvent un événement déclencheur : un audit à venir, un rachat d’entité, un projet ERP/CRM majeur, une montée des risques ou une panne critique. C’est là que le besoin de structurer la connaissance du SI devient concret… et que le projet peut être légitimé. Car dire « on va consolider la connaissance du SI » ne suffit pas à convaincre : il faut démontrer une valeur d’usage.
« La question à se poser, c’est toujours : quel ROI concret, sur quel périmètre, et pour qui ? »
Une fois ce point d’appui trouvé, on peut passer à l’onboarding de la connaissance existante : fichiers Excel, interviews, CMDB, rien ne doit être jeté. Il s’agit d’amorcer une première base — pas parfaite, mais exploitable. L’approche 80/20 fonctionne bien ici : poser une V0 structurée, puis valider et itérer avec les sachants. Mieux vaut un “texte à trous” qu’une feuille blanche !
Cette première version devient un révélateur : elle apporte une vision que l’entreprise n’avait jamais eue auparavant. Et ça change tout. Une fois cette valeur perçue, il est plus facile d’enclencher des engagements progressifs et raisonnables pour aller plus loin.
Arthur : Oui, mais dès le départ, il faut sécuriser un sponsoring solide. Et poser une intention claire : pourquoi cette connaissance ? À qui va-t-elle servir ? Sous quelle forme ? Avec quelle granularité ? Ce sont ces réponses qui vont permettre de cadrer et d’ancrer la démarche dans les dispositifs existants — gouvernance, comitologie, processus de gestion du changement…
« Pour que la démarche soit pérenne, la mise à jour de la connaissance doit s’intégrer dans la vie de l’entreprise et de ses processus ! »
De plus, il ne faut pas négliger la dimension humaine : certaines personnes peuvent se sentir « dépossédées » si elles détenaient historiquement l’information dans leur tête. Il faut les embarquer tôt, leur expliquer le sens du projet, et les intégrer dans certaines instances du projet.
Sylvain : C’est là qu’on passe du “0,5 à 1” ! On ne parle plus de structuration initiale, mais de maintenance vivante de la connaissance : fréquence de mise à jour, intégration aux processus existants, moments de révision collective. Et les bénéfices deviennent très concrets : un métier qui dit « maintenant je sais à qui m’adresser pour accéder à cette donnée », ou « je suis plus autonome »… c’est le signe que la connaissance est devenue activable !
Quels conseils donneriez-vous aux organisations qui souhaitent initier cette transversalité ?
Arthur : Mon premier conseil, c’est de ne pas tomber dans le piège de la modélisation exhaustive. Le framework TOGAF le dit très bien : ne modélisez que ce qui est utile ! Si une information n’est jamais utilisée, même si elle est parfaitement documentée, cela reste… une perte de temps.
Il faut donc choisir ses batailles. Une cartographie partielle, mais utilisée et maintenue, aura toujours plus de valeur qu’une cartographie complète, obsolète au bout de trois mois.
« Mieux vaut cartographier 20% de la connaissance et la faire vivre dans l’organisation, que 100% sans jamais la mettre à jour. »
Et il ne faut pas chercher une méthode universelle. Il n’y en a pas ! L’organisation doit s’adapter à sa propre culture, à son fonctionnement. Dans certains environnements, proposer une information à jour de manière proactive suffit. Dans d’autres, la mise à jour est naturelle parce qu’elle est inscrite dans les habitudes et dans le cadre de gouvernance. Ce sont des équilibres à trouver — sans dogmatisme.
Sylvain : Chez Boldo, on est partis d’une conviction simple : le socle de la démarche, c’est la facilité de consommation de la connaissance – ou storytelling. Notre priorité a été de rendre la connaissance du SI facile à consommer, intelligible, intéressante. Nous venons du monde des projets de transformation digitale, on a été PO, chefs de projet, prestataires : on sait que si c’est compliqué, ça ne prend pas !
C’est ensuite que nous avons ajouté les droits, l’ownership, la gestion de la confidentialité… Mais notre socle de départ, c’est d’assurer que chaque profil trouve la bonne façon d’accéder à l’information.
« La connaissance du SI n’est utile que si elle est lisible et adaptée au format d’évidence de chaque utilisateur. »
Un DAF ne cherche pas un diagramme UML. Il veut voir les coûts. Un Lead Tech, lui, a besoin d’un diagramme d’architecture. Un DG ? Une carte imbriquée qui synthétise. Chez Boldo, on s’appuie sur ce principe : une base de données commune, mais des formats de restitution multiples. Table simple, dataviz cockpit, animation diagramme pour l’orchestration des flux … chacun son entrée !
Et si on parle d’ETI, c’est vrai que la culture d’architecture d’entreprise est souvent moins mature que dans les grands comptes. Mais le besoin, lui, est tout aussi présent : rachats, restructurations, croissance rapide… D’où l’intérêt de démarrer par des cas d’usage simples et mesurables, pour démontrer rapidement un ROI et embarquer les équipes. L’accessibilité de l’information devient un levier d’embarquement sur ces organisations !
Arthur : Pour conclure, la connaissance du SI ne peut plus rester l’affaire de quelques experts cloisonnés. Pour devenir un levier de transformation, elle doit être partagée, activable et appropriable par tous ceux qui contribuent à faire évoluer l’entreprise — métiers comme IT.
Si les outils sont des leviers d’accélération, la démarche repose aussi sur une capacité collective à structurer, maintenir et faire vivre cette connaissance dans le temps.
La bonne question n’est donc plus « faut-il structurer cette connaissance ? », mais « par où commencer, avec qui, et pour quels usages concrets ? » !

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