
Publié le
Par Guilhem Barroyer, Sylvain Melchior
Boldo | L’évolution du métier d’Architecte d’Entreprise
L’architecture d’entreprise vit un moment charnière. Elle n’a jamais été aussi indispensable, et pourtant, rarement aussi questionnée. Pendant longtemps, le rôle de l’architecte d’entreprise a été perçu comme technique, parfois austère : documenter, rationaliser, sécuriser le système d’information. Comparé à un gardien du temple, reclus dans sa tour d’ivoire…
Mais les lignes bougent. À mesure que la data, le cloud et l’IA deviennent les nouveaux moteurs de l’organisation, l’entreprise elle-même devient un système vivant: complexe, distribué, interconnecté. Dans ce contexte, l’architecte n’est plus seulement le garant de la cohérence technique: il devient le catalyseur de la transformation, celui qui relie la stratégie aux réalités du terrain, et qui donne sens à la technologie au service du collectif.
Mais cette transformation s’opère dans un contexte de tensions inédites. D’après une étude Gartner “EA Trends 2025: Growth, AI and Business Alignment”, “62 % des CEO placent la croissance en tête de leurs priorités pour 2025. Mais cette croissance doit être rentable et soutenue par une transformation technologique maîtrisée.” Autrement dit : les entreprises veulent croître, mais sans se perdre dans la complexité de leurs propres systèmes. Dans le même rapport, plus de 80 % des dirigeants estiment que l’IA contribuera directement à la croissance du chiffre d’affaires, alors que seuls 3 % des DSIs partagent cette conviction. Une fracture qui illustre parfaitement le défi du moment : comment relier la vision stratégique aux réalités du terrain, sans créer un nouveau fossé entre l’ambition et l’exécution ?
C’est précisément là que se redéfinit la mission de l’architecte d’entreprise. Entre la stratégie et la technologie, il devient le traducteur, le médiateur, le chef d’orchestre. Son rôle n’est plus seulement de documenter, mais de rendre la complexité intelligible, gouvernable et exploitable pour que la transformation devienne possible, durable, et comprise de tous.
Un changement d’ère pour l’Architecture d’Entreprise
Des fondations solides : la naissance d’une discipline
L’architecture d’entreprise est née dans les années 1980, dans un contexte où les systèmes informatiques devenaient trop vastes et fragmentés pour être pilotés sans cadre commun.
À l’époque, les organisations cherchaient avant tout à reprendre le contrôle : standardiser leurs processus, documenter leurs infrastructures, et garantir la cohérence d’un SI en pleine expansion.
C’est dans ce contexte que John Zachman, chez IBM, formalise en 1987 la première grille de référence d’architecture d’entreprise: une approche méthodique pour décrire une organisation selon plusieurs angles : métier, données, applications, technologies. Quelques années plus tard, The Open Group reprend cette logique et crée le TOGAF (The Open Group Architecture Framework), qui deviendra la norme internationale du domaine.
L’objectif, à l’époque, était clair : structurer et rationaliser les systèmes d’information pour assurer leur stabilité, leur conformité et leur efficacité opérationnelle. L’architecte d’entreprise était alors le garant de la rigueur et de la documentation, une figure méthodique, souvent perçue comme technique, voire administrative.
De la rationalisation à l’adaptation
Les systèmes sont devenus distribués, la donnée omniprésente, les cycles d’innovation plus rapides que jamais. L’entreprise elle-même est devenue un système vivant, traversé de dépendances, de flux et de transformations continues.
Cette complexité croissante s’accompagne d’un intérêt renouvelé pour la discipline. En France, le nombre de professionnels certifiés TOGAF est passé de 800 en 2013 à plus de 4 300 en 2018, selon Projexion, Carrefour de l’Apprentissage 2024. Et à l’échelle mondiale, The Open Group recense aujourd’hui près de 150 000 architectes certifiés, un signe clair de la professionnalisation du domaine, même si la France reste en retard face au Royaume-Uni et ses 11 000 certifiés.
Pour autant, cette montée en puissance s’accompagne d’une profonde mutation. Les organisations n’attendent plus des plans parfaits, mais des architectures vivantes : capables de s’ajuster, de fédérer et d’évoluer avec les usages. Mais les organisations d’aujourd’hui évoluent dans un écosystème mouvant : multi-cloud, IA générative, réglementations data, cybersécurité by design, fédérations d’équipes produit. Elles demandent des architectures agiles, adaptatives, collaboratives.
Gartner résume cette évolution en quatre chantiers majeurs pour les leaders EA :
- Développer un nouveau modèle opératoire pour livrer de la valeur dans des organisations distribuées.
- Moderniser le portefeuille technologique en réduisant la dette technique.
- Acquérir de nouvelles compétences en modélisation financière et en IA.
- Communiquer continuellement la valeur de l’architecture auprès des parties prenantes.
Autrement dit, l’architecture ne peut plus se contenter d’être exacte: elle doit être inspirante et partagée.
Vers une architecture narrative et partagée
L’architecture d’entreprise entre dans une nouvelle ère : celle de la lisibilité et de la mise en mouvement. Les modèles, les schémas et les référentiels ne suffisent plus, ils doivent désormais raconter une histoire logique . En effet, une architecture, pour être utile, doit être comprise : non seulement par ceux qui la conçoivent, mais par tous ceux qui la vivent et la transforment au quotidien.
Du livrable à l’action
La cartographie n’est plus un livrable figé, déposé à la fin d’un projet. Elle devient un outil vivant, un levier de décision et de priorisation.
Son rôle n’est plus de décrire le système, mais d’aider à le piloter : tester, arbitrer, anticiper les effets d’une transformation avant même de l’engager. L’architecte quitte ainsi le rôle du documentaliste pour endosser celui du chef d’orchestre, capable de transformer la modélisation en moteur d’action.
Du “faire” au “faire faire”
Mais agir ne suffit plus. L’enjeu aujourd’hui, c’est de faire agir les autres. L’architecte ne “fait” plus : il fait faire. Son rôle consiste à créer les conditions de la collaboration, réunir les métiers, la DSI et la direction autour d’une même compréhension du système.
Cette posture marque un véritable tournant culturel : l’expertise n’est plus individuelle, elle devient collective. L’architecte n’est plus un producteur de modèles, mais un faiseur de sens. Il doit aligner l’IT avec la stratégie et les métiers pour mettre en place la transformation de l’organisation et renforcer la gouvernance du système.
De la technique au storytelling
Enfin, une architecture n’a de valeur que si elle est visible et comprise. La compétence clé du métier n’est plus uniquement la modélisation, mais la vulgarisation. Savoir raconter l’architecture, c’est lui donner une dimension stratégique : traduire la complexité en langage clair, relier les structures à la vision, donner du sens aux interdépendances.
La clarté devient un impératif de gouvernance. Comprendre, c’est déjà gouverner. C’est tout le sens de notre approche chez Boldo : transformer la cartographie en storytelling visuel, révéler les dépendances, les flux et les impacts, et permettre à chacun de se repérer dans la complexité. C’est pour cela qu’on cherche à mettre l’intuitivité du diagramming au coeur de la modélisation. Le référentiel commun, la source unique de vérité essentielle de la cartographie ne prend de sens qu’à travers une modélisation visuelle et tangible.
Parce qu’une transformation ne se pilote bien que lorsqu’elle est visible, comprise et partagée. Et c’est justement là que se joue la prochaine étape de cette évolution : l’ouverture du métier.
Une pratique qui se démocratise
D’après Gartner, près de 60 % des grandes entreprises disposent désormais d’une équipe dédiée à l’architecture d’entreprise pour piloter leurs transformations. Preuve que la discipline s’est imposée comme un levier stratégique au sein des organisations complexes.
Mais cette pratique ne peut plus (et ne doit plus ) rester l’apanage des grands groupes. Les PME, ETI, startups, collectivités et associations sont tout aussi concernées. Leurs systèmes deviennent rapidement complexes, leurs outils se multiplient, leurs données se fragmentent.
Elles ont besoin, elles aussi, de cette capacité à voir, comprendre et relier, à construire une vision cohérente de leur système avant de chercher à le transformer.
- Dans une grande entreprise, l’architecture permet de gouverner la complexité, d’assurer la cohérence stratégique et de piloter les interdépendances.
- Dans une startup, elle aide à structurer la croissance, à éviter la dette organisationnelle et à ancrer les décisions dans une logique de scalabilité.
- Dans une collectivité, elle sert à aligner les politiques publiques, les outils et les services citoyens autour d’un même cadre de compréhension.
Autrement dit, l’architecture n’est pas une affaire de taille, mais de maturité. Chaque organisation doit trouver son propre niveau de formalisation, son propre rythme, son propre langage.
C’est précisément ce que nous défendons chez Boldo : une architecture flexible et contextualisée, capable de s’adapter à la réalité du terrain. Notre métamodèle n’est pas figé car on pense qu’il ne faut pas imposer la même norme à des entreprises différentes, mais plutôt à révéler la structure vivante de chaque organisation, selon son degré de maturité et ses priorités. L’objectif n’est pas de tout cartographier mais de donner du sens, progressivement. De rendre la connaissance accessible à tous les acteurs, du COMEX aux équipes métiers, en passant par les consultants, éditeurs ou intégrateurs.
Cette démocratisation est la clé de la transformation à long terme car une architecture n’a d’impact que lorsqu’elle devient partagée, comprise et co-construite.
Conclusion
Les tendances 2025 le confirment : les entreprises qui réussiront à tirer parti de l’IA, du cloud et des nouvelles architectures sont celles qui auront su relier la vision, la structure et la culture. L’architecte d’entreprise est à ce carrefour. Son rôle dépasse à présent celui de documentaliste auquel on l’a longtemps associé : il raconte la complexité pour la rendre intelligible, gouvernable et partagée.
Dans un monde traversé par des révolutions technologiques complexes et une transformation continue, sa force n’est plus tant la maîtrise technique que la clarté. Parce qu’on ne pilote bien que ce que l’on comprend, et qu’une vision n’a de valeur que lorsqu’elle devient collective.
C’est cette conviction qui guide Boldo : faire de la cartographie un langage commun, et de la modélisation un levier de transformation visible, vécue et comprise de tous.

Un Pont entre les Objectifs Métiers et les Capacités Technologiques dans un Monde en Évolution
~4 minutes